Ce Que Cette Montre À Gousset Nous Apprend Sur Les Dernières Heures Du Titanic
À 23 h 40, le Titanic a percuté un iceberg dans l’océan Atlantique Nord. De nombreux objets ont été retrouvés et restaurés — des parties du navire, des bijoux et des assiettes, pour n’en citer que quelques-uns. Il a fallu environ 3 heures pour que le navire soit complètement submergé dans ces lointaines eaux glacées. La nuit était froide et très animée. L’orchestre jouait et sa musique enchantait les passagers. Tout le monde était impatient d’arriver en Amérique. En 1912, traverser l’Atlantique en bateau était encore considéré comme un événement extraordinaire.
Mais au fil de la journée, un vague sentiment de malheur imminent fit son chemin dans l’esprit du capitaine et des membres de l’équipage. Personne d’autre ne l’éprouvait, cependant. Pour la plupart des passagers, rien ne pouvait arriver et la nuit s’annonçait des plus tranquilles.
Pour eux, le Titanic était insubmersible. Quand on pense au Titanic, on songe rarement au personnel du courrier. Eh oui, il y avait bien des agents de la poste à bord, dont la mission était d’apporter du courrier en Amérique. C’est un métier tout ce qu’il y a de plus banal en apparence, mais pour être accepté il fallait passer un examen très difficile. Et seuls les meilleurs candidats étaient sélectionnés. John Starr March, un Américain, était l’un de ces postiers qui gagnaient entre 1 000 et 1 500 dollars par an en travaillant sur le Titanic. En 1912, c’était un très beau salaire.
Ils ne faisaient pas officiellement partie de l’équipage du navire — l’équipe du courrier était placée près des quartiers de troisième classe. Mais en jouant de leur influence et avec beaucoup de ténacité, ils avaient obtenu un meilleur traitement, ainsi que l’accès à une salle à manger particulière. March s’était fait embaucher car il avait besoin d’argent pour subvenir aux besoins de sa famille. Et travailler sur un grand navire traversant l’océan lui convenait parfaitement. Il avait 51 ans à l’époque et était originaire du New Jersey. Malheureusement, il se trouvait à bord lors du naufrage du célèbre navire et il n’a pas survécu. Mais on a retrouvé une montre à gousset qui nous donne un petit aperçu de ce qui a pu se passer lors de cette soirée fatidique. Il s’agit d’un loquet en or, gravé en filigrane et portant la maque de l’Elgin National Watch Company.
À première vue, on se dirait qu’il s’agit du genre d’antiquité qu’on pose au-dessus d’une cheminée pour faire joli, mais l’objet présente quelques particularités inhabituelles. Il y a des signes évidents d’infiltration d’eau sous le verre, et les aiguilles noires de la montre indiquent exactement 1 h 27. On peut se demander pourquoi elle s’est arrêtée à ce moment précis. Que faisait son propriétaire ? Les préposés au courrier assuraient le tri des envois postaux de manière parfaitement efficace à bord du Titanic. Ce n’était pas chose courante sur un navire de croisière — les paquebots transportent généralement des sacs fermés pour charrier le courrier d’un port à l’autre. Mais la salle de tri installée à bord du Titanic permettait aux passagers d’envoyer des cartes postales à chaque fois que le navire accostait dans les zones de transit, en Irlande et en France.
D’après ce qu’on sait, les passagers ont commencé à retourner dans leurs cabines vers 23 h, mais certains d’entre eux traînaient encore dans les salles communes pour profiter de la soirée. Les cinq postiers fêtaient l’anniversaire d’un de leurs collègues dans leur réfectoire. 5 minutes avant la collision, les membres de l’équipage ont repéré l’iceberg et ont sonné 3 fois la cloche pour avertir qu’un objet se trouvait droit devant eux. L’ordre a été donné de manœuvrer vers la gauche ou, comme le voulait encore l’usage au siècle dernier, de barrer “à tribord toute” — et que les moteurs fassent machine arrière. Cela n’a pas été suffisant pour éviter la catastrophe. À 23 h 40, le Titanic a percuté l’iceberg et le désastre s’est invité à bord. Non seulement l’eau a commencé de s’infiltrer dans le navire, mais la panique a saisi les passagers et les membres d’équipage. Le capitaine Smith s’est rendu sur le pont et on l’a informé que le Titanic avait heurté un iceberg. Et au même moment, la salle du courrier a commencé à se remplir d’eau.
Nous savons que le navire de 269 mètres a été complètement submergé vers 2 h 20 du matin, avec 706 survivants. Entre le moment de l’impact et le naufrage, le chaos a été total. À minuit, on a commencé à préparer les canots de sauvetage pour l’évacuation des passagers. Des ordres ont été donnés pour que les femmes et les enfants montent en priorité, avec quelques hommes d’équipage pour les guider. Le problème était que les 20 canots de sauvetage disponibles ne pouvaient accueillir que 1 178 personnes sur un total de plus de 2 200 passagers. March et ses collègues se sont remis à trier le courrier. Des ordres contradictoires ajoutaient au désordre général. Chaque seconde, l’eau glacée s’infiltrait un peu plus dans le navire. 15 minutes après minuit, le capitaine Smith a ordonné à son équipage d’envoyer un signal de détresse.
Même si le SOS existait déjà à l’époque du Titanic, le code CQD était encore largement utilisé. CQ est un appel général, et D veut dire “détresse”. Le SS Frankfurt était trop loin pour aider, même s’il fut l’un des premiers à répondre. Le navire jumeau du Titanic, l’Olympic, répondit lui aussi, mais il était également trop éloigné. A 00 h 20, le Carpathia reçu le signal de détresse et changea son cap — mais il se trouvait à 107 km de distance. Pendant ce temps, l’eau continuait de s’infiltrer à une vitesse alarmante. Il n’était pas facile de garder le calme à bord — on pressentait que le navire pouvait s’enfoncer dans les eaux glacées en seulement quelques heures.
De nombreux passagers se trouvaient alors déjà à bord des canots de sauvetage, attendant de descendre dans l’eau. Les musiciens continuaient à jouer pour ceux qui attendaient encore. Du salon de première classe où ils étaient installés, ils étaient passés directement sur le pont. On ignore combien de temps ils ont joué et les morceaux choisis. Aucun des musiciens n’a survécu. Les 5 postiers continuaient eux aussi de travailler pendant que le navire coulait. Selon un officier, la salle du courrier était déjà remplie d’eau jusqu’aux niveaux des chevilles, et les postiers s’efforçaient de sauver le plus de courrier possible. March était l’un d’entre eux. Des sacs postaux flottaient partout.
Ils s’occupaient en priorité du courrier recommandé. Des témoins du naufrage ont raconté que les postiers apportaient des sacs sur le pont pour les protéger de l’eau jusqu’à l’arrivée des secours. Ils ont aussi raconté que des sacs flottaient sur l’eau glacée. Ce n’est qu’à 00 h 45 que le canot de sauvetage numéro 7, situé sur le côté gauche du navire, a été descendu dans l’eau. Même s’il pouvait accueillir environ 65 personnes, seules 27 personnes se trouvaient à son bord. De nombreux canots transportaient moins de passagers que leur capacité maximale autorisée. L’équipage craignait qu’ils ne chavirent s’ils étaient surchargés. Selon quelques témoignages, certaines personnes refusaient même de monter dans les canots, préférant continuer de croire que le Titanic était insubmersible.
Au même moment, la première des 8 fusées de détresse fut envoyée, mais cela n’eut aucun résultat. À 00 h 55, les deuxième et troisième canots de sauvetage ont été descendus sur les eaux et 2 passagers masculins ont sauté à bord. 5 minutes plus tard, un autre canot a été descendu avec environ 39 personnes à son bord. À ce moment-là, l’eau touchait déjà le bas du Grand Escalier. Au cours des 20 minutes suivantes, d’autres canots ont été descendus, la plupart d’entre eux bien en dessous de leur capacité. Et toujours aucun secours en vue. Le Carpathia était toujours en route. La panique et la tension grandissait. Ceux qui restaient sur le pont exprimaient leur colère. Vers 1 h 30 du matin, la situation devint incontrôlable. L’embarquement organisé des passagers vers les canots de sauvetage dut être interrompu. Et la montre de March, arrêtée 3 minutes plus tôt, suggère qu’il a pu participer à la bagarre opposant les membres de l’équipage aux passagers.
Il a fallu 3 heures pour que le Carpathia arrive enfin. March ne faisait pas partie des survivants. Sa montre s’est avérée être l’une des découvertes essentielles parmi les objets retrouvés dans l’épave du Titanic. Elle a par la suite été rendue à ses deux filles. Et aujourd’hui, elle se trouve dans l’une des collections du Musée National de la Poste. March a fait ce qu’il devait faire dans une situation désespérée. Le temps était extrêmement précieux pour les passagers du navire. Et cette montre nous a permis d’en savoir un peu plus sur l’histoire à la fois tragique et passionnante du Titanic.