D’où vient la mode du “dirty chic”, d’abord appréciée par les célébrités, et aujourd’hui reprise par le grand public
Jusqu’à très récemment, dans les années 80, le glamour régnait sur la mode, et les fashionistas essayaient de s’habiller de manière aussi spectaculaire et chic que possible. S’il n’y avait pas d’argent pour acheter de vrais diamants, on les remplaçait par des strass : le but était de tout faire briller et scintiller. Qui aurait cru que le glamour et les paillettes tomberaient bientôt dans l’oubli, pour être remplacés par une tendance telle que le “dirty chic” ? Aujourd’hui, les marques de mode vendent très cher des vêtements en lambeaux et froissés, et les stars et influenceurs acceptent volontiers les règles du jeu et portent leur attention sur ces vêtements.
L’équipe de Sympa a décidé d’examiner l’origine de cette mode et la raison pour laquelle de nombreux consommateurs sont prêts à dépenser des milliers d’euros pour des objets à l’apparence plutôt étrange.
Des collants déchirés pour 190 $, un jean sale pour 425 $ et une manucure avec du vernis écaillé
En 2017, la célèbre marque de vêtements PRPS a surpris ses fans en présentant un jean pour homme à 425 $ recouvert d’une couche de fausse saleté. On avait l’impression d’avoir creusé la terre et d’être tombé dans un fossé en portant ce jean. Selon l’idée des créateurs, cela a été fait exprès pour que les acheteurs potentiels puissent essayer “l’image d’un homme qui n’a pas peur de se salir”. Les médias ont immédiatement été envahis de commentaires sarcastiques de la part de personnes qui doivent réellement faire le sale boulot. Voici ce que l’un d’entre eux a écrit : “Ce n’est pas un pantalon. Ce n’est même pas la mode. C’est un costume pour les gens riches qui se moquent du travail.”
Cependant, les vêtements délibérément sales et en lambeaux sont rapidement devenus une tendance, reprise par les marques de luxe. Ainsi, la maison de mode Gucci a lancé des jeans coûtant 770 $ avec des taches comme des taches d’herbe et des collants déchirés pour 190 $. Pour être juste, les collants filés avaient déjà été portés par des mannequins lors du défilé Yves Saint Laurent, mais il ne s’agissait alors que d’un défilé de la Fashion Week.
Et à la fin de l’année 2021, la manucure au vernis écaillé a fait son entrée dans la mode.
Lors de la fashion week automne/hiver de New York, des stylistes ont décidé de transformer l’un des pires faux pas en matière de beauté en un phénomène de mode. Lors du défilé de Khaite, la mannequin Bella Hadid a montré ses ongles avec du vernis noir écaillé. Selon la manucure de renom Jin Soon Choi, cet effet était délibéré. Pour y parvenir, elle a essuyé une partie du vernis à ongles immédiatement après l’avoir appliqué.
Et ensuite, d’autres pièces manifestement dégradées ont commencé à envahir le monde de la mode.
Tout a commencé dans les années 1980 avec des musiciens de rock
Cependant, on ne peut pas dire que la saleté, les peluches, les trous et autres imperfections spécialement recréées sur les vêtements soient un phénomène inédit apparu au XXIe siècle. En fait, ses racines remontent aux années 80 et 90, lorsque le grunge est devenu à la mode. Il était fondé sur un déni de toutes les normes et règles existantes, y compris la mode en tant que telle. Mais ironiquement, le grunge lui-même est vite devenu une tendance.
Ce style est né dans les années 80 à Seattle grâce à des groupes de rock comme Nirvana, Alice in Chains et Soundgarden. Les artistes jouaient une musique rebelle et se produisaient généralement dans leurs propres vêtements de tous les jours, pas franchement élégants. Cette façon de s’habiller a été rapidement adoptée par les jeunes, puis le créateur Marc Jacobs a introduit le grunge dans la haute couture avec sa collection scandaleuse de 1993. Il s’agissait d’une sorte de réinterprétation et de déconstruction de la mode, à laquelle se livraient à la même époque les créateurs Yohji Yamamoto et Martin Margiela.
On peut peut-être dire que, dans une certaine mesure, ces créateurs de mode ont fait une révolution dans la mode, en changeant les règles de ces dernières années : si, auparavant, les tendances étaient définies sur les podiums, puis transmises aux masses, aujourd’hui, les tendances de la mode viennent de la rue. D’ailleurs, Gosha Rubchinsky et Demna Gvasalia peuvent être qualifiés de révolutionnaires du XXIe siècle, qui ont introduit les vêtements “de rue” dans la mode.
Quelle est la cause profonde de la tendance que l’on pourrait appeler “dirty chic” ou “ripped chic” ?
Cette tendance est peut-être une sorte de rejet des normes des années précédentes. Auparavant, les fashionistas et les amateurs de mode ont rejeté les corsets et aujourd’hui, ils refusent d’avoir l’air impeccable. “Dirty chic” est une métaphore de la liberté et de la désinvolture, une sorte de bravade : “Je me fiche de ce que je porte. Essayez de m’aimer non pas pour mon apparence extérieure, mais pour ce que j’ai en moi”. Peut-être que nous sommes tous fatigués d’être jugés uniquement sur nos “vêtements”.
Autrefois, les femmes et les hommes choisissaient soigneusement leurs vêtements et leurs accessoires, se souciant d’assortir les chaussures aux sacs à main et aux ceintures. Aujourd’hui, tout ce qui est trop parfait semble délibéré et non naturel. Il ne s’agit plus d’avoir un visage parfait, il s’agit d’avoir une particularité. C’est la même chose avec les vêtements. La règle principale est qu’il n’y a pas de règles.
Le rythme de la vie a changé
Le fait que les vêtements de style “dirty chic” soient pratiques est également important : on n’a pas peur de les salir ou froisser. De plus, ils peuvent être lavés beaucoup moins souvent et ne sont pas du tout repassés. N’est-ce pas un cadeau pour le citadin du 21e siècle, toujours pressé et qui n’a pas le temps ? Aujourd’hui, un homme portant un jean déchiré et une chemise froissée n’est plus un plouc, mais un créateur de tendances. Alors pour ceux qui ont la flemme de prendre soin de leur garde-robe, c’est une excellente nouvelle.
En outre, le rythme de vie moderne fait qu’en une journée, une personne peut visiter plusieurs endroits complètement différents : bureau, café, métro, musée, club. Dans un tel cas, tu ne peux pas te passer d’une tenue universelle qui sera confortable dans toutes les situations et ne perdra pas son aspect original. Les vêtements qui ont un aspect “usé” dès le début sont idéaux pour cela, car même la manipulation la plus agitée les rendra encore plus originaux et stylés.
Et enfin, les vêtements et les chaussures en style “dirty chic” sont une vraie solution à l’intersaison. Tu te souviens que nous étions souvent contrariés de salir nos bottes préférées sous la pluie ou dans les transports ? Maintenant, ce n’est plus un problème.
Tout ça est de la faute de la génération Z et la mode de la consommation consciente
Pendant longtemps, les milléniaux ont été à l’origine des tendances, mais les Zoomers les rattrappent maintenant et dictent de nouvelles règles. La mode des vêtements qui se font passer pour des fripes est peut-être due en grande partie à la tendance à la consommation consciente. L’héroïne de cette initiative, Greta Thunberg, exhorte les gens à protéger la planète de la pollution, notamment en limitant leurs achats. Aujourd’hui, il n’est plus honteux de s’habiller avec des vêtements d’occasion et sur les marchés aux puces. Les consommateurs ont compris que de nombreuses choses dans le monde d’aujourd’hui doivent avoir un cycle de vie différent : beaucoup plus long que ce que le marché de masse nous a appris.
Cependant, toutes les personnes ne sont pas prêtes à changer d’avis et à partir à la recherche de la chemise de leurs rêves dans un magasin d’occasion, mais elles veulent avoir l’air branchées. Dans ce cas, les pièces vieillies artificiellement et délabrées peuvent venir à leur secours. Telle est la contrefaçon idéologique de l’éco-tendance populaire.
La liberté et l’intelligence sont des valeurs fondamentales
Dans le monde d’aujourd’hui, l’une des valeurs les plus importantes est devenue la liberté : la liberté de choisir où vivre, où travailler, qui aimer et comment s’habiller. Et tout désir de suivre des règles inventées par on ne sait qui est un signe clair d’un manque de liberté intérieure. Ainsi, si quelqu’un se permet d’être imparfait, même en termes d’apparence, il a déjà fait un pas vers la liberté intérieure.
Aujourd’hui, la véritable élite intellectuelle, ce sont les informaticiens. Et comment s’habillent-ils ? Ils s’habillent de manière décontractée, sans prêter attention à leur apparence. Après tout, qui se soucie de ce que tu portes quand ton entreprise vaut des milliards de dollars ? Ainsi, une personne vraiment riche peut ignorer les normes et les codes vestimentaires communément acceptés et porter ce dans quoi elle se sent bien. D’ailleurs, pourquoi dépenser des milliers de dollars en objets quand on peut les investir avec profit dans une start-up prometteuse ?
D’un autre côté, l’autodérision est peut-être une autre raison de la popularité croissante du “dirty chic”. Il se peut que des maisons de couture bien connues créent de tels modèles pour le plaisir de rire : simplement pour porter des tendances douteuses jusqu’à l’absurde et pour rire avec leurs clients de ce que l’industrie de la mode est capable de faire. Et l’autodérision est un signe de haute intelligence.
Que penses-tu du style “dirty chic” ? D’après toi, est-ce juste pour épater la galerie ou y a-t-il quelque chose de plus derrière ?