Voici comment les hommes draguaient les femmes il y a 2000 ans (et c’est encore le cas aujourd’hui)
Près de deux mille ans séparent les Lettres d’Amour d’Aristénète et le film Love Actually ; et pourtant, le fond n’a guère changé. D’abord un regard volé, puis le cœur qui s’emballe et le sang qui monte à la tête, avant de plonger vers l’inconnu en tentant une approche hasardeuse : “Hé, miss, t’aurais pas un zéro-six ?”
En tant qu’art visité, revisité, et usé jusqu’à la corde, la drague et ses techniques se sont si bien étoffées au fil des siècles que, lorsque l’on ose enfin franchir le pas et déclarer sa flamme à l’être aimé, ce ne sont pas moins de dix mille ans d’histoire que nous passons en revue. Historiens, chercheurs, archéologues et scientifiques ont travaillé main dans la main pour révéler les détails de cette discipline, et aujourd’hui, Sympa, le cœur sur la main, t’ouvre une fenêtre sur l’âme des dragueurs et dragués.
Mésopotamie : “Ça te dit de faire des enfants avec moi ?”
L’ère mésopotamienne s’étend du Xème millénaire av. J-C jusqu’en 539 av. J-C. 10 000 ans de civilisation ! Au début de cette ère, il n’existait pas d’inégalité entre les hommes et les femmes, excepté sur le plan juridique. Il faudra attendre l’arrivée du XIXè siècle, soit près de douze mille ans, avant que les femmes ne bénéficient à nouveau d’un rapport de force égal à celui-ci, l’intermède n’ayant été qu’une succession de reculs de leurs pouvoirs.
Ainsi, comme hommes et femmes travaillaient ensemble, on pouvait rencontrer l’amour un peu partout, et se marier, avec l’accord du père. Mais, au fil des siècles, le pouvoir des hommes sur les femmes s’est accru, et finalement, au IIè millénaire Av. J-C, les femmes ne travaillaient plus qu’à la maison, loin des autres hommes. Cela s’est ressenti dans la mythologie : la déesse Ishtar, initialement déesse de la fertilité des plantes et des animaux, est devenue progressivement la déesse de l’amour et de la fécondité, puis de la sexualité, et puis pire encore. Voilà qui a donné une bonne idée de l’évolution du regard que les hommes portaient sur les femmes !
L’un des plus anciens récits de l’humanité, L’épopée de Gilgamesh, nous en apprend beaucoup sur les relations amoureuses au XVIIIè siècle av. J-C. Les personnages féminins du récit tiennent majoritairement des seconds rôles, mais ils sont riches d’informations : Ishtar tente, par exemple, de séduire Gilgamesh, qui repousse ses avances. Ishtar a en effet pour habitude de causer la perte de ses amants, étant uniquement intéressée par leur semence. Vexée, Ishtar demande à son père de la venger. Puisqu’à l’époque, le pouvoir était détenu par les hommes, les femmes pouvaient donc tenir ce type de discours : “Épouse-moi, ou je t’envoie mon père.”
Grèce Antique : “Enfuyons-nous ensemble”
Les romances à la période de la Grèce Antique n’ont pas grand chose d’enviable : on les retrouve dans tous les mythes de l’époque, et ceux-ci retracent avec une relative fidélité les mœurs des contemporains. Il n’est pas peu de dire qu’être aimée au XVIè siècle av. J-C n’était pas une sinécure ! Le consentement de la femme n’était pas au centre de l’attention ; à l’inverse, les épouses étaient une monnaie d’échange entre deux familles ; elles leur permettaient de s’unir et d’allier leurs biens.
L’amour existait pourtant. La coutume de l’époque était d’enlever la jeune fille que l’on souhaitait épouser. Mais ce rapt n’était pas tourné contre elle : les amants s’enfuyaient ensemble, et cet enlèvement signifiait avant tout qu’on l’enlevait de chez ses parents. C’est notamment le cas de l’un des mythes fondateurs de cette civilisation : l’histoire entre Pénélope et Ulysse. Alors que ce dernier voulait l’enlever, elle a dû choisir entre son père et son amant. Face à son père, elle a couvert son visage, signifiant qu’elle préférait partir avec Ulysse que de rester chez ses parents.
Pénélope, par toutes ses ruses pour rester fidèle à son mari, son attente patiente et son espoir indéfectible est ainsi devenue l’épouse parfaite de l’époque, et ce vers quoi les femmes aspiraient, faisant ainsi d’Ulysse l’époux parfait, celui qui s’égare parfois mais revient toujours.
Les différents prétendants de Pénélope, qui tentent de la séduire durant l’absence de son époux, usent des techniques de drague de l’époque, toutes plus brutales les unes que les autres. Ils organisent un complot pour assassiner Télémaque, son fils et donc le dernier homme à qui elle appartient pendant l’absence de son époux, et ils mettent également en place un concours, au cours duquel ils devront se battre pour elle. Malheureusement pour eux, c’est Ulysse, déguisé en mendiant, qui l’emporte, et récupère sa femme : Pénélope est comblée de joie.
Rome Antique, période républicaine : “Unissons nos familles, pour la grandeur de Rome !”
Cette ère est celle de l’avènement de la famille patricienne, et ainsi, de la naissance du patriarcat à proprement parler ; la morale et la tradition en sont les clés de voûte. Le pater dirige sa famille, et plus largement, ses gens de maison, d’une main forte. Son état lui confère une autorité absolue, et ses filles sont soumises par les lois. Lorsqu’elles se marient, elles doivent obéissance et respect à leur époux, et sont jalousement protégées.
Ainsi, il est difficile de parler d’amour pur à cette époque, car l’absence de liberté ne permet pas à ce type de sentiments de se développer. Même si l’enlèvement n’est plus de mesure, et qu’on ne le pratique plus que par comédie, ce sont essentiellement les hommes qui font affaire entre eux, sans le consentement des jeunes filles. Le mariage est légal dès 12 ans pour les femmes, et le célibat est lourdement taxé ; pas question donc de traîner.
Nous avons hérité de nombreuses traditions de cette période : la bague passée à l’annulaire gauche de l’épouse ou le mariage en tenue blanche datent, par exemple, de ce temps. Néanmoins, comme la majorité des mariages étaient arrangés, la drague était quasiment inexistante.
Rome Antique, l’âge d’Ovide : “Venez donc que je vous conte fleurette”
Si l’ouvrage de référence en la matière, l’Art d’Aimer, écrit par Ovide, est plutôt à considérer en tant qu’ouvrage humoristique dans lequel l’auteur se prend à parodier les relations amoureuses de son époque, il n’en éclaire pas moins les comportements amoureux des premiers siècles de notre ère. Il sert encore de référence en la matière de nos jours, tant il est actuel et fin dans certaines analyses.
Les règles austères et les traditions ancestrales sont finies ; l’avantage social des hommes est balayé ! Désormais, il faut apprendre à séduire pour espérer trouver l’amour. Cet art est exclusivement masculin : l’homme jette son dévolu sur une femme, et lui déclare son amour dans de longues tirades, et en vers, s’il vous plaît. Le véritable amour vous inspire, et doit pouvoir engendrer un discours flatteur. C’est le dieu Éros qui joue le rôle de Cyrano de Bergerac, et murmure des mots tendres à l’oreille de l’amoureux qui les répète.
La drague prend des formes très variées, très actuelles, et de nombreux lieux sont possibles pour les rencontres : les galeries, les places publiques, les repas... tant pour des conquêtes passagères que pour des relations durables. À table, par exemple, pour signifier son désir à une jeune femme, on boit à sa coupe, à l’endroit où elle a posé ses lèvres. Ainsi, elle comprendra que l’homme est épris d’elle. L’ivresse est plus que recommandée : “Vénus dans le vin, c’est le feu dans le feu”.
Voici, par exemple, un extrait de l’œuvre d’Ovide. Difficile de croire qu’elle a été écrite il y a deux mille ans :
L’amour courtois : “Je tuerais pour vous posséder !”
À partir du Moyen-Âge, la chevalerie engendre une nouvelle forme de relation amoureuse : l’amour courtois. Celui-ci a changé un certain nombre de choses : avec la courtoisie, on gagne l’amour par l’épreuve. À l’inverse du temps d’Ovide, les amoureux n’ont plus le verbe facile lorsqu’ils voient leur belle, mais en ont plutôt le souffle coupé. Les timides s’en félicitent : plus besoin de discours à rallonge. Pour séduire, il suffit de rester bouche bée devant l’élue de son cœur.
Grâce à son statut et à sa pureté, la femme est considérée comme “socialement” supérieure à l’homme, qui, quant à lui, est supérieur “naturellement”. Ainsi, il peut s’humilier sans crainte, il ne risque pas de perdre un statut qu’il n’a pas. C’est donc l’avènement de la bestialité de l’homme : d’une part, il est le vassal de sa femme, se jette à ses pieds comme signe d’amour ; mais il en profite également pour aller courtiser en dehors de sa couche.
Pour séduire au Moyen-Âge, il fallait se battre. Si auparavant, on considérait l’amour comme une folie dont on craignait d’être atteint, à cette époque, l’amour était devenu un peu plus rationnel et raisonnable : on se battait pour montrer à la dame ses prouesses. Celle-ci pouvait accroître ainsi sa réputation, et permettre un amour qui n’est plus fondé sur des “sens extérieurs” (le matériel, comme les cadeaux, la richesse, les terres) mais plutôt sur les “sens intérieurs” (admiration, respect, pureté...)
L’amour courtois est resté dans les esprits comme un amour pur, chevaleresque, et charmant. En réalité, il était surtout une justification pour ne pas s’inquiéter de ne pas aimer son épouse, et pour aller voir ailleurs. Le poète français Jean-Baptiste-Louis Gresset voit ainsi le conseil ultime de l’amour courtois : " Prenez-la, c’est d’abord ce que vous lui devez ; vous l’estimerez après, si vous pouvez. "
L’amour platonique : “Quel bel esprit vous avez !”
La Renaissance marque un tournant philosophique, où l’on reprend les textes anciens ; on observe ainsi à cette période l’avènement de l’amour platonique. Mais attention, pas de contresens : s’il s’agit en effet d’un amour intellectuel, où les amants se rejoignent dans leurs idées, cela ne signifie pas à l’origine qu’il ne va pas de pair avec l’amour charnel. Les plus sceptiques pourront se tourner vers la lecture du Banquet, par exemple, où Platon y défend l’idée que la sexualité est nécessaire, avec forte argumentation.
Généralement, cet amour est fantasmé, car au final, on sait très peu de choses sur la personne que l’on aime ; on préfère plutôt lui attribuer des qualités qu’on admire. Ce rêve engendre une attitude mélancolique : l’amour n’est décidément pas destiné à rendre heureux. Pour Platon, et donc par extension, pour les amants de l’époque de la Renaissance, ce qui compte, ce n’est pas la personne elle-même, mais les qualités qui sont aimées par une personne. Ainsi, on accorde la priorité à l’esprit par rapport au corps : un homme peut-être gros et laid, qu’importe ! S’il aime les belles choses, alors, il est une belle personne. Enfin, ça, c’est sur le papier...
Passion cartésienne : “Rendez-vous au bal à minuit”
La passion cartésienne voit l’apogée de la rationalisation des élans amoureux. Aimer, désirer est désormais considéré comme un trouble du sang, qui vient brouiller l’âme qui réside dans la glande pinéale. Avant cette ère, on comptait deux types d’amour : l’amour pur (plutôt chrétien, ou insufflé par Eros par exemple) et l’amour bestial (qui provient de la nature). Mais au XVIIIè siècle, il n’y avait plus qu’une seule sorte d’amour : un trouble physique qui rejaillit sur l’âme, et qu’il faut éviter de cultiver.
Descartes prétend que la folie amoureuse nous fait renoncer à notre humanité. Sa recommandation est donc simple : il vaut mieux pencher vers la préciosité comme le libertinage, car elle empêche cet afflux de sang de déborder vers un amour fou. C’est à cette période que naissent les bals masqués de l’opéra : après les représentations, les lieux se transforment en immenses boîtes de nuit, de vingt-trois heures à six heures du matin. Les convives préservent leur anonymat avec un loup ; on dit même que Marie-Antoinette y rencontrait en secret son beau-frère et amant le comte d’Artois.
La naissance du flirt : “Un baiser, pas plus !”
Le flirt a ironiquement démarré grâce à la vertu des jeunes anglaises : puisqu’elles étaient très pieuses, elles furent parmi les premières à pouvoir enfin sortir seules dans la rue, et aller où bon leur semblait sans être accompagnées d’un homme. Ainsi, elle ont pu se laisser aller à quelques rapprochements insidieux, sans pour autant aller jusqu’à la faute : le flirt était né. C’est une pratique sensuelle, où la jeune fille se permet davantage parce qu’elle sait qu’elle n’ira jamais jusqu’à sa conclusion.
Le flirt est arrivé en France avec la conception française de la galanterie : l’homme est persuadé qu’elle va céder ; mais en réalité, la femme pense qu’elle peut se laisser aller à un peu de sensualité, sans aller plus loin. C’est l’avènement du “presque oui”. La femme ne veut plus simplement se résoudre au mariage ; mais pas non plus ouvrir la porte à de simples batifolages sans lendemain. Le flirt est finalement devenu normal : c’est une étape fondamentale entre la conquête et le couple, avec une relation sensuelle plus ou moins poussée selon les cas.
De nos jours : “C’est quoi ton insta ?”
La drague contemporaine résulte de toute cette histoire longue et complexe. Certaines traditions tendent à être abandonnées, comme la demande d’autorisation aux parents ; le mariage lui-même est en déclin. Pourtant, certaines habitudes sont tenaces, et pourraient même être pensées comme constitutives de l’humanité, tant elles ont toujours eu lieu, à toutes les époques.
La danse par exemple, a toujours eu beaucoup de succès : dans les temps anciens, une personne dansait seule, et on admirait sa souplesse, la grâce de ses mouvements ; puis, avec l’arrivée de la cour, on dansait en groupe ; encore, avec le développement des danses de couples, les corps se séduisaient avec un tango endiablé ; et de nos jours, on revient au début du cycle et l’on admire ceux qui dansent seuls, grâce à des applications comme Tiktok, ou à de nombreuses danses nouvelles comme la Zumba.
La volonté d’envoûter un potentiel partenaire récalcitrant est, elle aussi, une habitude millénaire. “Le véritable amour est souvent maladroit, surtout quand il n’est pas partagé”, disait Honoré de Balzac ; et lorsque les mots manquent, certains n’hésitent pas à user d’autres remèdes. Potion d’envoûtement, philtre d’amour, cuisine aphrodisiaque ou encore parfums musqués, tout est bon à prendre, par peur que celui qui le prodigue fasse miroiter un résultat efficace.
Finalement, la seule chose qui change dans la drague, c’est le vocabulaire ! En effet, à cause d’une grande méfiance envers les séducteurs, ceux-ci doivent constamment renouveler leur vocabulaire, afin d’exercer leur art en toute discrétion : celui qui se fait percer à jour est immédiatement rejeté. La drague est un comportement anti-séducteur : celui qui a un charme naturel n’a pas besoin de draguer ; celui qui n’en est pas doté doit ajouter l’artifice.
Galer, alourder, coqueter, séduire, conter fleurette (qui deviendra fleureter, puis flirter)... On ne compte plus les synonymes historiques de ces pratiques. Beaucoup proviennent notamment de métaphores liées à la chasse, à la pêche, ou à la conquête guerrière et aux combats ; car oui, jusqu’au XIXè siècle, c’était bien une affaire d’hommes.
À l’ère de la libération de la femme et de la diversification des formes du couple, nous entrons dans une nouvelle phase de cette histoire. À ton avis, quelles seront les techniques de drague du futur ? Penses-tu que les techniques que nous utilisons depuis des millénaires sont amenées à disparaître ? Donne ton avis en commentaire !