Peut-on boire l’eau de la lune ?
Hé ! Il y a de l’eau sur cette Lune ! Tu le savais ? La NASA, quant à elle, ne le savait pas encore lorsque les astronautes d’Apollo y ont posé le pied il y a 50 ans. Ils ont rapporté 382 kilos de roches lunaires dans des sacs hermétiquement fermés. Lorsque la NASA a découvert que certains de ces sacs contenaient de l’eau, ils ont pensé qu’ils avaient été inondés en atterrissant dans l’océan. C’était pourtant bien de l’eau lunaire, mais la NASA n’a jamais conclu que cette eau provenait des roches de la Lune, parce que, pour eux, il n’y avait pas d’eau sur la Lune. Nous savons aujourd’hui que c’est faux, et qu’il y a bel et bien de l’eau sur la Lune.
Cependant, la question de savoir qui est à l’origine de cette découverte n’a pas de réponse claire. L’Inde affirme que son orbiteur lunaire Chandrayaan-1 a découvert de l’eau dans le sol de la Lune — qu’on appelle “régolithe” en termes géologiques — pendant sa mission en 2008-2009. Cette affirmation est contestée. Comme l’orbiteur Chandrayaan-1 n’a pris que des mesures spectrales infrarouges de la surface lunaire à 3 nanomètres, les résultats positifs auraient pu tout aussi bien indiquer des molécules d’OH que des molécules de H2O. OH est un hydroxyle, ce qui signifie qu’il peut s’agir d’un acide ou d’un alcool. L’Inde a envoyé Chandrayaan-2 sur la Lune en juillet 2019 pour confirmer les résultats précédents — et a trouvé des molécules H20 à l’aide de mesures spectrales infrarouges à 6 nanomètres.
Mais l’observatoire SOFIA de la NASA affirme avoir trouvé de l’eau sur la Lune en août 2018. SOFIA, qui signifie en français Observatoire stratosphérique pour l’astronomie infrarouge, volant à 45 000 pieds à bord d’un Boeing 747SP modifié, a effectué des relevés spectraux de 6 nanomètres de la surface lunaire et a trouvé des signes clairs de la présence d’eau en août 2018. Mais cette découverte aussi est contestée. Les relevés de SOFIA ne correspondaient pas aux variations de température sur la Lune. Que s’est-il passé ? L’eau était là, et puis elle n’était plus là ? Il est clair qu’une mesure “pratique” de la température sur le régolithe lunaire est nécessaire pour déterminer si et quand l’eau est présente dans la lumière du soleil sur la Lune. Par conséquent, le mérite de la découverte définitive d’eau dans les roches et le sol de la Lune doit être attribué au rover lunaire chinois Chang-e5, qui explorait sa face cachée en 2020.
La nouvelle question qui se pose est alors : “Quelle quantité d’eau y a-t-il dans le sol et les roches de la Lune ?” La réponse tient en deux mots : “Pas beaucoup”. On pourrait extraire environ une goutte d’eau pour chaque mètre cube de régolithe, et à peine plus dans les roches. Les ingénieurs se creusent actuellement la tête pour essayer de trouver quel type de machine il faudrait concevoir et construire pour exploiter cette eau lunaire. Il est absolument essentiel de trouver de l’eau localement sur la Lune. L’eau est trop lourde pour être apportée en grande quantité afin d’alimenter une quelconque activité humaine, telle que la construction prévue d’une base lunaire. Sans approvisionnement en eau, la présence humaine à long terme sur la Lune est définitivement exclue. Heureusement, on pense que l’eau existe de façon plus abondante sur la Lune, mais à un autre endroit : à son pôle Sud. Dès 2010, le radar de la NASA a cartographié les régions polaires de la Lune.
La cartographie radar dépend du rebond, ou signal réfléchissant, des ondes radar. Le radar rebondit différemment lorsqu’il frappe la terre, l’eau ou la glace. Tout comme tu peux dire, les yeux fermés, si quelqu’un frappe sur du métal, du bois ou du plastique, les ondes sonores ont leur propre schéma distinctif, et il en va de même pour le radar. Le temps qu’il faut pour recevoir le signal de rebond permet de créer une carte de la topographie de la surface — les montagnes, les vallées et les crêtes peuvent toutes être cartographiées avec précision, façonnant ainsi une carte détaillée de la surface. En passant au-dessus des cratères du pôle Sud lunaire, la réflexion de la télémétrie radar a rebondi avec un signal qui indiquait la présence de glace dans les cratères. C’était une découverte très excitante.
Les cratères du pôle sud de la Lune ont la particularité de ne jamais être éclairés par le Soleil. L’angle de la lumière du soleil ne fait que passer horizontalement sur les sommets des cratères, sans jamais y descendre. Cette configuration polaire unique crée une situation où les bords supérieurs des cratères polaires sont toujours ensoleillés, mais le fond des cratères ne reçoit jamais la lumière du soleil. La glace au fond des cratères ne fondra jamais. Plus de 40 cratères ombragés en permanence se trouvent à proximité du pôle sud lunaire, et ils semblent tous contenir de la glace.
Les agences spatiales du monde entier ont rapidement annoncé qu’elles prévoyaient des bases lunaires au pôle sud. La Chine, la Russie, l’Europe et le Japon prévoient de placer des panneaux solaires sur les bords des cratères — puisqu’ils bénéficient de la lumière du soleil 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 — et d’exploiter la glace au fond des cratères. La NASA n’a pas été si prompte à le faire, se refusant sagement à faire des plans extravagants basés sur une seule observation. Ce n’est tout simplement pas de la science sérieuse. De multiples observations sont nécessaires. Si ton cousin William, lors d’un dîner, voit la salière léviter et flotter dans les airs — mais que personne d’autre ne le remarque... il se peut que cela ne soit jamais arrivé. Peu importe à quel point William insiste sur le fait que cela s’est produit. Plusieurs observations sont nécessaires pour que quelque chose soit considéré comme “réel”, et au moins une de ces observations doit impliquer un contact direct.
La NASA a lancé le LRO, ou Orbiteur de Reconnaissance Lunaire, pour qu’il tourne au-dessus de ces cratères du pôle sud de la Lune. Parmi les 7 instruments du LRO qui prennent des mesures détaillées, le LAMP peut prendre des images ultraviolettes des cratères ombragés lorsqu’ils sont éclairés par la lumière des étoiles. Plutôt malin ! On estime aujourd’hui qu’il y a un demi trillion de kilos de glace d’eau dans les cratères ombragés du pôle Sud lunaire, soit environ 500 milliards de litres d’eau. Cela correspond à peu près à ce que l’ensemble des États-Unis consomment en seulement deux jours. Mais ces 500 milliards de litres d’eau pourraient alimenter une base lunaire pendant 1000 ans.
Comment cette glace est-elle arrivée là ? Les comètes sont pour l’instant l’explication la plus plausible. Elles peuvent être composées de nombreux types de glaces, la glace d’eau étant la plus courante, puisque l’oxygène et l’hydrogène sont si répandus dans l’espace. La Terre est cependant le seul endroit du système solaire à posséder de la glace à l’italienne. Lorsqu’une comète s’écrase sur le pôle sud lunaire et crée un cratère, la glace y est piégée, sans jamais fondre ou s’évaporer puisqu’elle est compactée à la surface de la Lune. Des relevés radar ont indiqué la présence de glace jusqu’à 18 mètres sous la surface au fond de ces cratères sombres. Il va y avoir beaucoup de monde au pôle sud de la Lune lorsque tous ces pays commenceront à mettre en œuvre leurs plans pour exploiter la lumière perpétuelle du soleil sur les bords des cratères, ainsi que la glace dans les profondeurs sombres des cratères.
Le pôle Sud de la Lune est en passe de devenir le bien immobilier le plus précieux et le plus convoité en dehors de certains quartiers de Paris. Mais la NASA n’a toujours pas eu ce contact direct avec la glace d’eau au Pôle Sud lunaire. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, et ils essaient encore. Le vaisseau spatial L-Cross a tiré un projectile lourd dans le cratère sombre Cabeus. L’idée était de créer un panache de gaz à partir de l’impact qui s’élèverait au-dessus du bord du cratère — et un vaisseau spatial suivant volerait à travers le panache et prendrait des mesures directes de celui-ci. Ce serait la preuve physique recherchée par la NASA de la présence d’eau dans les cratères polaires.
L-Cross a trouvé beaucoup d’hydrogène, ainsi que du sodium, du mercure et de l’argent dans le nuage gazeux soulevé du fond du cratère — mais aucune molécule d’H2O. La quantité d’hydrogène dans le panache a conduit de nombreux scientifiques à insister sur le fait que la glace d’eau devait en être la source. Mais le doute était encore possible. Ce n’était pas la détection directe que la NASA avait espérée. Bientôt, PRIME-1 va forer pour trouver de la glace dans la zone polaire sud de la Lune. PRIME est un acronyme qui signifie en français “Expérience d’exploitation de la glace des Ressources Polaires”. La sonde ne pourra forer que jusqu’à 90 cm de profondeur, mais la NASA espère que ce sera assez profond pour trouver de la glace compactée dans la Lune, sous le niveau du régolithe. PRIME-1 est un prélude à la mission ARTEMIS, qui doit aller sur la lune avec un équipage humain.
La NASA n’a pas envoyé d’hommes sur la Lune depuis plus de 50 ans. D’ailleurs, nous n’avons rien posé sur la Lune pendant toutes les années qui ont suivi la dernière mission Apollo en 1972. Nous avons fait atterrir des rovers sur Mars à plusieurs reprises pendant ces années, mais pas sur la Lune. Mais aujourd’hui, avec la quasi-certitude de la présence de glace d’eau sur la Lune, la course est relancée pour installer une station avec équipage humain au pôle Sud de la Lune.
L’eau sur la Lune ne provoque pas seulement beaucoup d’enthousiasme dans la communauté scientifique, elle crée aussi beaucoup d’agitation au sol. Ce ne sera pas juste un autre lancement spatial, nous allons vraiment retourner sur la Lune !