Une histoire qui te fera réfléchir sur ce qu’est le vrai bonheur
Nous allons aujourd’hui te raconter une fable sur la poursuite du bonheur, cette fameuse quête qui anime chacun d’entre nous et nous mène parfois sur des chemins tortueux. Il s’agit de l’adaptation d’une nouvelle de l’auteur Vladislav Scripach qui imagine que le bonheur peut s’acheter. Son héros décide d’acquérir un modèle bien particulier : celui d’un designer, spécialiste en la matière. Il se rend donc dans une boutique où l’on vend le bonheur à un prix raisonnable. On y trouve tout ce qui est à la mode : un appartement ravissant, une jolie femme, un petit complément sympa nommé “enfant” et bien plus. Et pourtant, il y a un truc qui cloche...
Sympa t’invite à entrer dans un endroit où le vrai bonheur est en vente, il y en a pour tous les goûts... et te propose aussi de réfléchir à ce que tu veux dans la vie.
— Bonjour, vous venez acheter du bonheur ? demanda avec un sourire irrésistible la femme.
— Oui... Euh... C’est possible ?, hésita l’homme.
— Bien sûr ! Lequel voulez-vous ?
— Bah je ne sais pas... Le bonheur que tout le monde cherche, je suppose.
— Excellent choix !, répondit-elle gaiement. Venez, j’ai quelque chose pour vous. Nous avons le meilleur bonheur, un bonheur de spécialiste, nous le designons nous-même, avec vous. C’est le plus populaire actuellement. Regardez ici : c’est l’un des modèles les plus convoités, avec des couleurs beige très douces, ajouta la jeune fille en montrant un grand écran où l’on voyait des images qui brillaient.
— Un appartement dans une zone résidentielle tranquille, un crédit immobilier avec des intérêts infimes. Une belle épouse : blonde, grande, à la belle silhouette et aux seins magnifiques. Un chaton Sphynx, parfait : pas un seul poil et donc pas d’allergies. Vous travaillez comme Directeur de projet. Vous avez une voiture pour vous et une autre pour votre femme. Un bon complément pourrait être un enfant. Vous l’emportez ?
— Bah... Je n’aime pas trop les chats. Et en plus les Sphynx sont vraiment laids. Je ne sais pas, peut-être que quelqu’un d’autre aime ces chats... Je ne pourrais pas avoir plutôt un chien ? Un berger allemand, peut-être ? Ou un chien bâtard, ça irait aussi. Un chien intelligent.
La jeune fille avait l’air contrariée.
— Un bâtard ? Ce n’est pas très beau. Un Husky, un Malamute, un Grand Danois... Il y a plein de races très populaires !
— Ah, bon ? Populaires, dites-vous ? Bon... Et mon épouse, elle pourrait ne pas être blonde ?
— Bien sûr ! Avec un mouvement de poignet, la vendeuse a commencé à passer sur l’écran des portraits des beautés les plus raffinées : des brunes, des rousses, des femmes aux cheveux châtains. L’homme trouva que c’était exactement le même visage, comme si la même femme mince aux lèvres et aux cils hypertrophiés changeait tout simplement de perruque. “Nous en avons pour tous les goûts”.
— Pas pour tous, il me semble... J’aimerais qu’elle soit un peu plus ronde. Par exemple, j’aime bien Lucie, celle de l’immeuble d’en face. Elle est si...
— Qu’est-ce que vous racontez, là ? Quelle Lucie ? Elle est presque obèse ! Et elle mesure un mètre 58 ! Elle a des problèmes de peau, et elle est couverte de taches de rousseur. Ces Lucie, si vous permettez, ne sont pas du tout une création de design. Elles ne sont plus à la mode, elles ne l’ont jamais été d’ailleurs !
— Mais...
— Pas de mais ! Vous êtes venus chercher du bonheur ou vous êtes juste venu faire un tour ?
— Je cherche le bonheur..., soupira l’homme.
— Bah voilà, il est là ! Un bonheur à la mode, avec du style, du design.
— Alors, pour Lucie, c’est non ?
— Non. Et encore moins avec ce prénom. Garance, Lou, Ariane... Vous avez besoin d’un prénom sonore, brillant, à la mode.
— Bon, Garance, je choisis Garance, répondit l’homme, résigné.
— Et pour l’appartement et le travail, pouvez-vous changer quelque chose ?
— Vous voulez dire quoi, exactement ? La jeune fille croisa les bras, impatiente.
— Et bien... Ce n’est pas trop populaire... bien sûr. Mais j’ai toujours rêvé d’avoir une maison dans un village. Et cultiver des fraises. Et aussi peindre des tableaux, des tableaux de fraises.... Tout est calme, tellement calme... Le soir je cueille les fraises et je les offre à Lucie. Elle, elle fait des crêpes et elle y met du sirop de fraises. Et les autres, elle les met dans un panier. Un panier avec une serviette en dentelle. Et elle s’assied à mes côtés. Elle reste assise, là, souriante. Ses joues sont roses, ses seins sont pleins. Et à ses pieds, il y a le chien, très poilu, bâtard, mais très, très intelligent. Et je suis là, moi, un pinceau à la main et une toile devant moi. Je dessine cette magnifique scène.
— Et ? demanda la femme, froide et arrogante.
— Et le soir, on s’assied et on boit du thé, répondit l’homme, inspiré. Les murs sont pleins de tableaux. Mes tableaux. Et mon fils me demande : “Qui a dessiné ces beaux tableaux ?”. Et ma femme, Lucie, lui répond : "Papa. Il a peint tout ça. Veux-tu qu’il te fasse un portrait ?
— Et...? , insista la femme sur un ton glacé.
— Et voilà. C’est le bonheur.
L’homme remarqua qu’elle fronçait les sourcils, et se démoralisa.
— Quel bonheur ? C’est ça le bonheur pour vous ? Vous êtes devenu fou ? Vous voulez gaspiller votre vie en vivant cette misère ? Je comprendrais si vous me parliez d’un style rétro, d’une villa dans un village pittoresque en France, votre maîtresse, Juliette, avec un caniche, des tableaux de Picasso et quelques vignobles. Mais des fraises... La jeune fit une grimace comme si elle parlait, non pas de fraises, mais de citrons, comme si elle les mangeait. Lucie ? Chien poilu ? Serviette ? En dentelle ? Pouah ! Sortez de votre esprit toutes ces choses de mauvais goût !
— Mais...
— Réfléchissez-y : que diront les gens ? Hein ? Combien d’argent allez-vous gagner ? Quel type d’affaires mènerez-vous en faisant des tableaux et en cueillant des fraises ? Pourrez-vous répondre aux besoins de Garance ? Elle, elle a besoin d’un manteau de vison et des boucles d’oreilles avec des diamants !
— Mais Lucie...
— On en a déjà parlé : pas de Lucie ! Et avec quoi paierez-vous le vétérinaire de Lord ?
— Quel Lord ?
— Parce que vous allez appeler “Bruno” votre Dogue Royal ?
— Bah...
— Exactement, c’est ce que je vous dis ! Le bonheur doit être parfait, impeccable. Autrement, vous ne serez jamais heureux !
— Mais pourquoi je ne peux pas avoir une maison dans un village ? Et des fraises ? L’homme avait les larmes aux yeux.
— Vous ne nous faites pas confiance ? Nous sommes des professionnels du bonheur ! Les meilleurs designers en la matière ! Ils savent ce dont vous avez besoin. Ils vous rendront heureux.
— Mais comment est-ce possible ?
Deux personnes sont passées à côté de lui, elles marchaient vers la sortie de la boutique : une cliente satisfaite et le vendeur.
— Excellent choix, disait le vendeur avec un sourire irrésistible.
— Oui, je sais ! Je suis tellement heureuse !, dit la femme en serrant un carton contre sa poitrine. J’aurai enfin le bonheur, comme tout le monde ! Un bonheur commun, à la mode ! Fait par un spécialiste ! Un appartement au centre-ville, un mari PDG, une voiture...
— Vous voyez ?, dit la femme. Elle est heureuse. Et c’est parce qu’elle ne fait pas de commandes bizarres et de mauvais goût, et parce qu’elle nous fait confiance.
— Est-ce que je peux, au moins, regarder ce designer dans les yeux ?, demanda l’homme
— Pour quoi faire ? Personne ne fait jamais cela.
— S’il vous plaît. J’ai vraiment besoin de faire ça.
La femme haleta, haussa les épaules, et alla vers la sortie en faisant beaucoup de bruit avec ses talons. L’homme alla derrière elle. Il imaginait le designer comme un homme efféminé, aux cheveux teints, avec un long foulard en soie et aux couleurs inimaginables, habillé en jeans roses troués ou des leggins aux motifs de guépard. Mais dans la petite chambre il y avait un homme sombre, il n’était pas rasé, il portait un vieux pullover, des lunettes et des pantoufles. Il y avait une tasse de thé chaud sur son bureau. Taché des pieds à la tête, il fabriquait quelque chose avec de la terre. La table était remplie de tout type de maquettes, de matériaux, de travaux non finis, d’images, de vis, de pièces en bois, de tableaux, de dessins, et d’ordures difficiles à identifier.
La femme et l’homme sont entrés dans la pièce, et elle ferma la porte derrière lui, le laissant tout seul avec le designer.
— Alors, c’est toi le designer du bonheur ?, demanda l’homme, très étonné.
— C’est bien cela, répondit le designer sans le regarder.
— C’est donc toi qui invente toutes ces bêtises ?
— Quelles bêtises ?
— Bah, ces blondes avec un Sphinx et des crédits immobiliers en des couleurs toutes douces et beiges ?
— Pourquoi ? Vous n’aimez pas ?
— Non. Je veux juste savoir pourquoi Lucie et les fraises, c’est hors de question. Hein ?
Le designer mit de côté un morceau de terre, et regarda l’homme d’un regard profond, Ses yeux étaient d’un vert incroyablement foncé.
— Dis-moi, Jean... Qui est-ce qui t’achète tes chaussures ? Ta maman ? Et quand elles les achète, elle les essaie sur ses pieds ?
— Mais non !, répondit Jean, surpris par cette question. Elle fait du 38, et moi, du 43. Elle ne peut pas les essayer.
— Et ce ne sont que des chaussures. Le bonheur, c’est quelque chose de purement individuel, voire intime. Et qu’est-ce que tu as demandé ? " Du bonheur, comme tout le monde " ! Et voilà, on t’a proposé un bonheur comme tout le monde.
— Mais... vous êtes designer, vous êtes à la mode. Populaire.
— Exactement. Populaire.
— Et toi tu l’imagines !
— Non, non, je ne le fais pas.
— Comment, non ? Jean ne comprenait plus rien. Qui le fait alors ?
— C’est populaire, il est conçu automatiquement. Ensuite, ils disent juste que c’est un travail de designer, de spécialiste quoi.
— Attends, te veux dire qu’ils trompent les gens ?
— Exactement. C’est facile de tromper les gens idiots.
— Je ne suis pas idiot !, riposta Jean énervé.
— Si tu n’es pas idiot, tu dois savoir que les mots “comme tout le monde”, “à la mode” et “populaire” ne vont pas du tout avec l’idée du “bonheur”.
— Et alors, que fais-tu là, c’est quoi cette sculpture ?, demanda Jean en montrant du doigt le morceau de terre.
— Le bonheur.
— Le bonheur de qui ?
— De qui veux-tu que ce soit ? C’est mon bonheur ! Jean, il faut que tu comprennes que chacun est le designer de son propre bonheur. Si tu ne peux pas comprendre cela, achète donc un bonheur “comme celui de tout le monde”, à la mode, populaire.
Il sourit, remit ses lunettes, et poursuivit son travail.