Pourquoi aller aux toilettes de l’école peut s’avérer une épreuve pour les enfants. Un texte honnête sur un problème que nous ne voulons pas voir

Psychologie
Il y a 1 an

Selon une enquête menée en Grande-Bretagne, les gens considèrent les toilettes à chasse d’eau comme l’une des plus grandes inventions de l’humanité : elle se classe dans le top dix, avec le moteur à combustion interne. Des scientifiques sérieux s’emploient à rendre notre passage aux toilettes toujours plus confortable et agréable.

Chez Sympa, nous nous demandons pourquoi nos enfants doivent rester à l’âge de pierre sur cette question et pourquoi il est encore nécessaire de demander la permission de quitter la classe pour aller aux toilettes.

Un jour, à l’école primaire, ma camarade de classe Chloé, une fille silencieuse et timide, presque invisible pour tous les autres élèves, s’est fait pipi dessus. Elle tendait la main pour demander la permission de sortir, mais notre enseignante était occupée à réprimander un autre élève, ne remarquant pas Chloé et ses timides tentatives d’attirer l’attention. Mais quand un liquide jaune a coulé sous sa table, là oui, tout le monde l’a remarquée.

Je me souviens comment ça m’a terrifiée. La chose la plus importante à ce moment-là était de me protéger, de montrer à tout le monde que ce n’était pas moi, car c’était trop la honte ! Depuis l’école maternelle, nous avons tous retenu qu’il n’y avait rien de pire que se faire pipi dessus. En même temps, personne ne pouvait nous expliquer clairement quel était le problème : tu n’as pas triché, tu n’as frappé personne, tu n’as pas pris l’argent de quelqu’un d’autre, tu n’as juste pas pu te retenir. Ce n’est pas la fin du monde, non plus.

Notre maîtresse était, selon les parents, une bonne professeure, mais je dirais qu’elle n’était pas extraordinaire, comme des centaines d’autres professeurs. Elle a un peu réprimandé Chloé pour ne pas avoir assez insisté pour se faire entendre, et l’a renvoyée chez elle. Sa courte réprimande a finalement mis les points sur les i pour tout le monde dans la classe : c’est la faute de celle qui a fait pipi dans son pantalon. Si, auparavant, tout le monde ignorait Chloé, maintenant, on l’évitait avec mépris.

On dit que l’école doit préparer les enfants à la vie adulte. Si les patrons d’une entreprise obligeaient leurs employés à demander la permission pour aller aux toilettes devant tout le monde, cela semblerait inouï : scandale médiatique, mèmes sur les médias sociaux, indignation des employés, on en parlerait partout.

Nous, des adultes, des personnes a priori confiantes, capables de confier nos traumatismes psychologiques à des psychologues bien payés, n’aurions jamais enduré une telle humiliation dans notre vie. Mais pour la plupart des enfants, c’est une chose courante, une réalité quotidienne. Ils connaissent parfaitement bien l’importance de savoir se faire entendre par l’enseignant et d’éviter l’embarras, car personne n’aurait pitié de toi, s’il t’arrive un accident pareil.

De nombreux enfants essaient de ne pas aller aux toilettes du tout à l’école : ils se retiennent jusqu’au dernier moment, ce qui, soit dit en passant, n’est pas bon pour leur santé. Et ils se retiennent non seulement parce qu’ils doivent indiquer leur besoin devant toute la classe, mais aussi parce qu’au lieu de trouver un espace intime confortable et sûr dans les toilettes de l’école, ils doivent faire leurs besoins devant tout le monde, dans le meilleur des cas dans une cabine, ou dans le pire des cas, en rangée sans porte.

L’école de mon enfant a des ordinateurs et des projecteurs dans les salles de classe, des casiers dans les vestiaires, tout impeccable, mais les toilettes sont vieilles et séparées par des cloisons fragiles, avec fenêtres cassées. Quel est l’intérêt de colmater les fissures si, selon l’assistante du directeur, les enfants ne devraient pas rester longtemps dans la pièce ? “Ils sont ici pour apprendre, pas pour faire pipi”, argumente-t-elle.

Le conseil des parents d’élèves est venu voir le directeur pour l’interroger sur les toilettes de l’école. La maîtresse de classe était contre en disant que c’était embarrassant, l’assistante du directeur en rajoutait : “Certaines personnes veulent juste embêter les autres”. Et tout ça pourquoi ? Parce que les parents ont demandé à mettre des portes aux toilettes. Ils étaient même prêts à payer cette simple réparation de leur poche, puisque le budget de l’école ne prévoit pas ce luxe “extraordinaire”. Mais les enseignants étaient catégoriques : un enseignant doit pouvoir regarder dans n’importe quelle pièce de l’école à tout moment et évaluer la situation en un clin d’œil.

Les psychologues peuvent écrire des traités sur la psyché des enfants et la formation de l’estime de soi, les médecins signalent qu’il est néfaste de se retenir pendant longtemps et comment cela conduit à diverses maladies, mais la règle établie dans de nombreuses écoles reste inébranlable. Un enseignant peut même ne pas laisser un enfant aller aux toilettes s’il pense qu’il veut échapper à un contrôle, par exemple. Mais comment prouver que tu es vraiment “obligé de sortir” ? Parents aimants, nous fermons les yeux sur ces problèmes. Ce sujet est tabou, inconfortable.

Et surtout, tous les enseignants ne sont pas nos alliés sur ce sujet. Certains sont horrifiés à l’idée que les enfants puissent quitter la classe pour aller aux toilettes sans qu’on leur demande. Ils préfigurent une perturbation du processus d’apprentissage, des allers-retours incessants, en disant : “Nous nous retenons, ils le feront aussi !” Mais soyons honnêtes : aucun adulte ne va procrastiner jusqu’à la dernière minute, et les enfants peuvent ne pas bien évaluer leurs capacités : il ne faut pas les confondre avec les adultes.

Tu sais, j’ai l’impression que beaucoup d’entre nous font une sorte de blocage sur cette question, précisément à cause des traumatismes de l’enfance. Nous ne voulons pas nous souvenir de cet état d’impuissance et d’humiliation, nous essayons de prendre de la distance et il ne nous vient pas à l’esprit qu’il est simplement de notre responsabilité de protéger les enfants et de veiller à ce qu’ils se sentent à l’aise pour satisfaire l’un des besoins humains les plus simples et les plus fondamentaux. Pour que plus aucun enfant ne soit obligé de rentrer chez lui ou de rester en pantalon mouillé au milieu de la classe, simplement parce qu’il est trop timide et craintif.

D’après toi, est-ce que nous devrions parler des toilettes ou qu’il y a des choses plus importantes à améliorer dans nos écoles ?

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