Une psychologue explique comment nous apprenons aux enfants à se trahir : une vérité qui frappe plus fort qu’une gifle

Il y a 3 ans

Voici la scène à laquelle j’ai assisté un jour :

Je suis assise dans un café. Il y a une famille à la table voisine : le papa, qui a l’air d’avoir dans les 35 ans, son fils de 4-5 ans et la grand-mère, apparemment la mère du papa. Ils ont pris un thé avec des viennoiseries, les adultes discutent de quelque chose.

L’enfant veut boire du thé mais il est très chaud. Il essaie à plusieurs reprises mais n’y arrive pas. Laissant tomber, il s’adresse aux adultes : “C’est trop chaud”. Ces derniers ne l’entendent pas ou ne font pas attention à lui. Le petit répète un peu plus fort : “C’est trop chaud !”. Sa grand-mère se tourne vers lui, irritée, et dit : “Ce n’est pas trop chaud, ne dis pas de bêtises !”

Le papa touche la tasse, essaie de faire quelque chose mais la grand-mère le distrait avec une autre question et il recommence à parler avec elle, en laissant son fils tout seul face à son problème. L’enfant essaie à nouveau d’attirer l’attention sur lui. La grand-mère répond méchamment : “Tu arrêtes ça ! Vas-y, bois-le ! C’est trop chaud ! Ce n’est pas du tout chaud, bois-le, il faut que nous partions”. Et se retourne vers le papa. Le garçon, un peu hésitant, en soufflant sur le thé de temps en temps, essaie de le boire avec son petit pain. Finalement, ils se lèvent et se dirigent vers la sortie. Sur le chemin, la grand-mère fait des reproches à son petit-fils : “Si tu continues de mal te comporter comme ça, la prochaine fois, nous ne t’emmèneront plus avec nous ”.

Je ne sais pas toi, mais moi, j’ai eu soudain une envie violente de frapper cette grand-mère. Evidemment, c’est juste une façon de parler, mais voyons les choses du point de vue de l’enfant : qu’a-t-il appris de cet épisode ?

  • Que ses problèmes ne sont pas importants, et par extension, lui non plus.
  • Qu’il ne doit pas parler de ses problèmes à voix haute.
  • Qu’il ne doit pas demander de l’aide : soit tu te fais crier dessus, soit on t’ignore. Dans tous les cas, cela ne fera qu’empirer les choses.
  • Qu’il ne peut pas faire confiance à ses propres sentiments et sensations. Les autres savent mieux que lui ce qu’il peut et doit ressentir dans l’une ou l’autre situation.
  • Que les proches peuvent te tourner le dos, juste parce que tu as osé dire que quelque chose n’allait pas (dans ce cas précis — trop chaud).
  • Que ton papa ne te défendra pas et ne te protégera pas.
  • Que le papa est plus faible que la grand-mère. Parce qu’il ne t’a pas défendu et ne t’a pas protégé. Par la suite, cette projection affectera sa perception des hommes et des femmes en général et la sienne en premier lieu.

La liste des conséquences négatives est longue, mais rien que ces quelques points suffisent déjà amplement pour être horrifié. Cette situation n’a duré qu’une dizaine de minutes. Je suis persuadée que ce type de scènes se produit aussi régulièrement dans le cadre familial. Quelques dizaines de répétitions, et les (mauvaises) leçons sont apprises pour toute la vie.

Nous avons tous grandi en entendant tout le temps de telles choses. Nous sommes les produits d’une telle “éducation”. Nous ne nous écoutons pas, nous ne nous faisons pas confiance, nous nous en référons aux autres et enfouissons nos propres besoins dans un recoin éloigné. Comment faire autrement ? C’est comme ça.

Quand je me sens mal dans une situation, au contact de quelque chose ou de quelqu’un, cela ne signifie qu’une chose : je me sens mal. Ce sont mes sentiments, et je suis guidée par eux, je leur fais confiance. Et je suis obligée de me protéger par tous les moyens. C’est un acte d’amour de soi. Je n’ai pas à penser à POURQUOI quelqu’un me fait du mal, à me mettre à sa place, à le comprendre. Je n’ai pas à me demander s’il a eu une enfance difficile, s’il a été blessé, pour se conduire désormais ainsi avec les gens. Laisse-le faire ce qu’il veut, une chose est sûre : ce n’est pas ta responsabilité.

La capacité de se protéger, de définir ses limites aide vraiment à la croissance de l’estime de soi. Et sur cette estime de soi si importante, tu pourras forcément faire pousser quelque chose de bien. Par exemple, la capacité de regarder une situation à travers les yeux d’une autre personne, de comprendre ses motivations, de ne pas se mettre en colère face à elle, de l’accepter telle qu’elle est et de pardonner. Ou de ne PAS pardonner, d’ailleurs. Et ce n’est qu’après avoir traversé ce chemin, et ce à plusieurs reprises, qu’à la fin de celui-ci, tu pourras cueillir un fruit magique et délicieux : une saine indifférence.

Si tu m’envoies me faire cuire un œuf, je vais juste hausser les épaules et penser : “Ça arrive !” Ensuite, tu seras capable d’accepter les gens tels qu’ils sont. Puis tu atteindras une compréhension profonde du fait que nous avons encore tous enfouis au fond de nous un enfant à qui des adultes ont appris à se trahir. Et cela nous fait toujours du mal. Alors voici une bonne nouvelle : il n’est pas nécessaire de multiplier cette douleur en répondant au mal par le mal.

Dès l’enfance, on nous a appris à ne pas faire confiance à nos sentiments, on nous a dit : “Tu ne peux pas ressentir cela, c’est faux”. Et nous avons grandi sans même pouvoir parfois les reconnaître, ces fameux sentiments. Personne ne voulait entendre que quelque chose n’allait pas et si cela arrivait, eh bien, c’était forcément de notre faute, non ? Voilà pourquoi il faut d’abord réapprendre à faire confiance à tes sensations et sentiments, pour les déclarer au monde et les exprimer. Pas à tout le monde, mais plutôt de manière sélective. À ceux qui sont capables de comprendre et de ne pas rire en réponse. Ensuite, tu perfectionneras ta capacité à fixer tes limites et à les défendre. Au besoin, “avec des armes”, de façon claire et nette.

Au début, ce sera un peu agressif pour les autres. Mais ensuite tu verras, tout le reste suivra. Cela ne fonctionnera pas dans un autre ordre. Voici sans doute pourquoi les adeptes des différentes traditions orientales, qui prônent l’Amour universel, affichent des sourires béats en toutes circonstances et ont tellement envie de montrer à tous la fameuse “lumière” qui les habite, ont aussi parfois tellement de souffrance dans le regard. Ils ont raté les deux premières étapes, décidant de prendre le taureau par les cornes et de sauter directement à la troisième. Mais non : cela ne fonctionne pas dans un ordre différent. Il faut d’abord apprendre à s’écouter, à se comprendre, à s’accepter, pour pouvoir ensuite dire au monde qui l’on est, ce que l’on ressent et imposer son individualité.

Et toi, fais-tu confiance à ton intuition, à tes sentiments ? Penses-tu qu’il est important d’apprendre aux enfants qu’ils ont de la valeur, que leurs sentiments comptent tout autant que ceux d’un adulte ? Nous avons hâte de te lire dans les commentaires.

Photo de couverture icsilviu / Pixabay

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